r e a l i t y

❆ l ' i g n o r a n c e

Il faisait beau. Le soleil était à son zénith. Il projetait ses rayons embrasés aussi loin que la distance le lui permettait, fructifiant la nature environnante. Un léger zéphyr effleurait la cime des arbres et faisait vibrer les fleurs diaprées. Au sein d’une plaine verdoyante, se trouvait une petite fille. Elle avait de longs cheveux bouclés dont la couleur d’or s’intensifiait sous les faisceaux denses du soleil. Elle observait très minutieusement les déplacements déliés d’une coccinelle déposée sur son doigt. L’enfant plissait ses yeux et faisait de son mieux pour demeurer immobile et maîtriser son souffle le plus paisiblement possible.

À ses yeux, la nuance des couleurs sur l’insecte était irréversiblement splendide. Ce rouge intense qui pourtant tirait avec légèreté sur l’orange, était tout bonnement sublime. Et ces points noirs qui brillaient de mille feux ! La jeune fille se demanda pourquoi est-ce que la coccinelle avait-elle des points noirs sur le dos.

Au bout de quelques instants, l’insecte frémit des ailes.

« Ah non, pourquoi pars-tu… », murmura l’enfant du bout des lèvres.

Elle était si focalisée sur les mouvements et la physionomie de la coccinelle, qu’elle en finit par ne plus entendre le doux chants des oiseaux.

Quand la coccinelle fut suffisamment proche de l’extrémité du doigt de la jeune fille, elle déploya ses ailes et prit finalement son envol, comme emportée par la brise.

« Au revoir », sourit la jeune fille.

Elle suivit des yeux la trajectoire de la coccinelle, qui se déposa plus loin sur l’une des fleurs qui parsemaient la prairie. L’enfant se leva puis s’apprêtait à retourner chez elle, lorsque quelque chose de mystérieux attira son attention. À quelques dizaines de mètres d’elle, se trouvait un objet brillant. Elle fronça les sourcils, surprise. Elle était persuadée que cet objet ne se trouvait pas là auparavant. Elle fit un pas en avant, curieuse, mais surtout intriguée par la brillance de ce qu’elle pensait être une boîte, ou un coffret. Plus la distance diminuait, plus son cœur battait la chamade. Il tambourinait vivement contre sa poitrine. L’excitation pure et simple circulait dans ses veines. Avait-elle trouvé un trésor ? Cette boîte flamboyait sous ses yeux, aussi étincelante que l’étaient les étoiles lors d’une nuit d’août. Une seule chose la préoccupait, savoir ce que ce coffret enfermait. Elle ne fit qu’une bouchée des mètres qui la séparait de sa nouvelle découverte puis s’y agenouilla devant. À l’instant même où ses genoux touchèrent l’herbe fraîche, l’éclat de la boîte s’atténua, comme par magie. Elle put enfin la voir concrètement et l’examiner comme il se devait.

« J’ai rarement vu quelque chose d’aussi beau… », constata-t-elle avec émerveillement.

Une sérénité sans égal émanait de ce coffret si joli et agréable à regarder. Des mystérieuses gravures ornaient les quatre facettes de la boîte, et sur le couvercle, se trouvaient des fissures dorées. La petite fille n’avait absolument aucune idée de ce que tout cela pouvait signifier. Elle poursuivit son observation, se triturant les meninges, bien décidée à comprendre ce que tout cela pouvait représenter. Elle se mit à quatre pattes et tourna autour de la boîte, détaillant la moindre inscription. Elle s’attarda sur chacune des faces avec minutie. Toutes les gravures incrustées sur la boîte étaient couleur d’or. Toutes, sauf trois, qui étaient argentées. Et elle ne comprenait pas pourquoi.

La jeune fille refaisait le tour de la boîte, en essayant vainement d’interpréter les innombrables illustrations qui revêtaient les quatre faces, lorsque des lettres gravées capturèrent son intention.

« Mais ! Ça n’y était pas !  » se promit-elle. Elle décida de lire la phrase à haute voix.

À l’intérieur de moi, tu trouveras toutes les réponses aux questions que tu te poseras.

La jeune fille écarquilla les yeux. Elle n’y croyait pas une seconde. Les battements de son cœur s’étaient accélérés de plus belle. Une curiosité démente lui chauffait le cerveau. Elle n’en pouvait plus. Elle voulait savoir. Savoir tant de choses ! Elle avait tant de questions ! Avec si peu de réponses !

Elle ignorait pourquoi, mais elle avait foi en cette boîte magique.

Pourquoi la vie ? Pourquoi l’immensité de l’Univers ? Pourquoi la mort ? Pourquoi ci, pourquoi ça ? Des questions par milliers fusaient dans son esprit. Pourquoi est-ce que la coccinelle avait-elle des points noirs sur le dos ? Pourquoi l’Humanité, pourquoi la religion ? Pourquoi tant d’interrogations, pourquoi tant de doutes et d’incertitudes ? Pourquoi tant de cachoteries ? Pourquoi tant d’ignorances, tant d’émotions et de contradictions ?

Cette boîte lui permettra-t-elle de comprendre ce qu’elle était incapable d’envisager ni même d’imaginer ? L’excitation se décupla. Si elle avait été debout, la jeune fille se serait écroulée tant ses jambes s’agitaient. Tout son corps était parcouru de spams inexplicables. Un sourire immense étira les lèvres de la jeune fille. Cette boîte magique allait lui apporter des réponses uniques qui lui changeront la vision des choses.

Avec une main tremblante, elle souleva le couvercle.

Cependant, elle le regretta aussitôt.

Car soudain, ce fut le noir complet.

Elle eut la très nette impression que tous ses sens avaient chutés. Elle perdit contact avec la réalité. Elle ne voyait plus rien, ne sentait plus rien, incapable également de parler. Elle sentit les larmes monter et sa respiration saccadée finit même par se bloquer. Elle ne comprenait absolument pas ce qui était en train de se passer.

Elle ne comprenait rien.

Elle ne savait rien. Et elle n’avait d’ailleurs peut-être jamais su.

Et au fond d’elle, elle savait qu’elle ne saura jamais rien.

Une énième question parcourut son esprit.

Quel était le pire ? Ne pas savoir, ou bien de savoir que l’on ne sait pas ?

Peut-être, le pire serait simplement de tout savoir, en fin de compte.